Eux

 

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« Soul Mates

I don’t know how you are so familiar to me- or why it feels less like I am getting to know you and more as though I am remembering who you are. How every smile, every whisper brings me closer to the impossible conclusion that I have known you before, I have loved you before- In another time, a different place- some other existence. »

 

  • Lang Leav, Love & Misadventure

 

 

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I

« Ce sera cinq dollars s’il-vous-plaît. »

Ces mots résonnèrent très lentement et ils s’égaraient de ses tympans, comme un léger bourdonnement appartenant à un tout autre espace-temps. La jeune caissière ne pouvait le deviner, mais les yeux de la femme étaient complètement rivés sur le chandail en laine rouge foudroyant, cachés sous son toupet teint de cendres obscures. Pourtant, son regard était ailleurs, lui, perdu dans des souvenirs de guerre et de violence, une peur s’accapara de Lang au même moment qu’un frisson parcouru la douceur de sa peau si délicatement pâle. Pourquoi optait-elle pour un tel cadeau à l’adresse de son fidèle compagnon ? La jeune femme s’imaginait plutôt lui peindre un éloge rosé sur une immense toile nue, puis dépucelée de son innocence par des traits et des mots d’amour voués à Faudet, son seul et unique.  Mais la voilà, destinée malgré elle à lui offrir un vêtement qui lui évoquait une rafale de souvenirs, comme s’ils étaient les raisons pour lesquelles elle avait fait son choix.

« Madame ? »

C’était comme si, comme si elle était liée à ce gilet. Il l’avait appelée du haut des rangées et au plus lointain des allées. Un faible murmure s’extirpant du silence pour lui parvenir, comme une nostalgie priant à être dévoilée, voir délivrée. Les doigts frêles de l’écrivaine plongeaient dans l’épaisseur du tissu, imbibés d’un confort familier. Dans les profondeurs de ses pensées, un paysage complètement nouveau se dessinait autour d’elle ; des dizaines de maisonnées délabrées sans pitié par la pauvreté, une brise sèche élevant le sable et la terre jusqu’aux narines d’où s’installaient une odeur de crottin d’âne et de déchets, des arbres assoiffés et torturés par un soleil en colère à l’affût de souffrance humaine et quelques petits commerces suppliant à être visités pour l’instant d’une seconde. Elle se situait alors, dans un camp de réfugiés en Thaïlande. Un spasme prit possession de sa tête, elle aperçu tel un éclair instantané, les traits de vieillesse de ses parents s’acharnant à échapper le régime de Khmer Rouge.

Rouge.

« Allez-vous le prendre, finalement, madame ? »

Rouge, un étang d’émotions d’où s’écoulent l’amour et la perte, d’où naissent les écrits de cette femme, Lang Leav. Voulait-elle vraiment le prendre ? Ce souvenir, si lointain, mais si proche de son âme, comme si elle effleurait sa révélation. La chaleur accablante caressa sa chair et susurra dans son cou quelques mots d’amour, prononcés par une jeune voix d’adolescent ayant vaincu la puberté très tôt. Ses mains se crispèrent soudainement, puis ses pupilles gagnèrent de l’épaisseur dans ses petits yeux obscurs. Sur un mur de sa conscience, se retrouvait projetée à sa vue, l’image d’un duo à l’allure loufoque, habillé de vieux fichus et victimes de sourires espiègles. Une lueur bien étrange se faufilait entre les quelques cils du jeune homme, une lueur que Lang avait retrouvée auprès de Faudet, qui s’émanait de la chaleur de son corps. Pourtant, celui-ci n’avait jamais parcouru les camps de refuge, ni ce passé qui ne lui appartenait qu’à elle. Un martèlement secoua sa poitrine, infligeant de sévères tremblements à ses veines dans lesquels son sang bouillonnait d’émerveillement. Doigts entremêlés, ils observaient les vêtements accrochés au toit d’une maisonnée, comme s’ils s’amusaient à s’imaginer leur destruction puis leur reconstitution. « Toi, lequel aimerais-tu porter ? » murmura une jeune Leav, des joues empourprées à l’idée fébrile de posséder le tricot blanc. Le garçon hésita dans l’esprit de la femme, mais son subconscient lui criait qu’il désirait le tricot rouge.

« Madame, allez-vous bien ? »

Cette question se faufila jusqu’aux poumons de l’artiste, s’étalant ainsi sur le sang et l’oxygène, grimpant sur les parois telles des plantes croissantes, en pleine floraison de nostalgie morose et douloureuse. Rouge, comme la colère, d’un cœur brisé à un bien trop jeune âge. Rouge, comme l’encre d’une mince plume d’où s’éclipsent des mots et des phrases, des vers et des sonnets, d’images idylliques d’un amour lointain et tant désiré. Rouge, comme l’interdit et le vol, de tant de jeunes rêves de passions effervescentes. La poétesse se ruait alors sur l’époque d’une première peine d’amour ; elle était là, immobile et assise sur le sol, contemplant la couleur de ce chandail, hypnotisée par la vie que jadis il possédait, et ainsi ignorant totalement les feuilles blanches qui se prosternaient à l’éveil de son talent. C’est alors qu’elle comprit que Faudet ne fut pas toujours une source d’inspiration importante, ni originaire de la Nouvelle-Zélande. Torturée par l’extase d’une telle révélation, la femme fut projetée dans la réalité de son existence présente et finalisa son achat judicieux. Une fois entrée dans son wagon, bien accrochée à son siège et rassurée par la présence du tricot dans son sac, elle se mit à contempler le paysage en mouvement à l’extérieur du train qui se dirigeait chez le petit foyer qu’elle avait construit à l’aide de son amant. Rouge, comme le crépuscule d’un été humide qui s’abat sur deux corps chauds par un chemin frayé à travers une fenêtre cassée. À la même allure que l’éclat du soleil s’accrochait aux branches des arbres valsant à travers la vitesse de l’engin, un vacarme de vieilles images se propulsaient à toute allure dans les abysses de son âme. Rouge, comme le sang d’une première fois, qui se déverse en flots sur les frissons traversant ses cuisses et se mêlant aux couvertures noyées dans une odeur de chanvre et de rose fanée. Rouge, comme le sexe et la passion, meurtriers de deux entités enflammées aux contacts de leurs âmes vêtues de peaux furtives en ébullition. Si jeune, cet adolescent, mais propriétaire des mêmes habitudes séduisantes que Faudet ; les canines plongeant dans la délicatesse du cou, la langue vacillante sur le bout du nombril et râpeuse tandis qu’elle se tortille dans le fond du bassin ensorcelée sous une pluie d’orgasmes, les ongles enfoncées sur les hanches tels des clous voulant à tout jamais immobiliser cet instant fautif, les lèvres pulpeuses profitant de violentes balades sur le contour d’une mâchoire crispée par le plaisir et ce rouge, celui de l’amour qui pénètre toute une vie, tout un corps et toute une âme.

« Vous êtes arrivés à destination. Veuillez descendre s’il-vous-plaît. »

Était-ce vraiment la conclusion à laquelle elle voulait aboutir ? S’étaient-ils vraiment aimés depuis plus que toutes ces années, depuis toujours ? Tant de moments éphémères parsemés de romantisme et de dévotion afin d’arriver à la rencontre d’une âme sœur. Elle n’avait donc jamais apprit à le connaître, elle ne faisait que se souvenir de lui à petit feu. À travers tant de manuscrits publiés, tant d’écrits travaillés et tant de poèmes immortalisés, ils pouvaient ainsi entrevoir ce pull rouge, symbole d’un amour dominant à tout jamais leurs vies unies.

 

 

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II

Les prunelles dissimulées d'une forêt de longs cils, le crépuscule d'un timide sourire aux lèvres et le coeur bien reposé au creux chaleureux de sa poitrine, elle rêvasse. Les mois d'été s'étaient volatilisés à la première apparition des bourrasques glacées, menaçant ainsi une tombée de cet amas de verdure accroché aux arbres les plus potelés. Il ne faisait ni très chaud, ni très froid, mais il prit un exquis plaisir à glisser sa petitesse dans sa veste, désirant secrètement de l'imbiber dans sa propre odeur à lui. "Aller, pousses-moi avec plus de force, aides-moi à goûter aux couleurs du ciel." Son frêle corps s'élançait alors entre les doux nuages qui lui chuchotaient des poèmes enchanteurs et lui soufflaient une brise docile entre les noeuds de ses cheveux parsemés de poussières automnales. Elle s'accrochait fortement aux chaînes de la balançoire, affublée d'une peur vertigineuse. Pourtant, malgré son tout petit corps et ses tout petits traits, les hauteurs ne furent jamais un dangereux défi, elle désirait tous les sommets du monde et toutes les étoiles d'un écran nocturne bien trop élevé. Au plus profond des secrets de son innocence, elle avait tout simplement peur de ne plus ressentir ses puissantes mains contre le bas de son dos. "Si je le fais, tu vas tomber et tu vas te faire mal." Il prit plaisir à l'accabler de protection, comme si elle était une enfant, trop émerveillée par le bien pour en redouter le mal. Ils traversaient les ruelles mains plongées l'une dans l'autre, ainsi non seulement il s'assurait de l'avoir à ses côtés, loin du mal, mais il pouvait également ressentir les pulsions de son tout petit coeur fébrile d'excitation vis-à-vis le bien. Il se vit prisonnier de la terre, tandis que la petite fille prit son envol vers les cieux, tel le plus bel des anges n'ayant jamais existé. C'est alors qu'il comprit la chance qu'il possédait d'être béni de telle façon, non, il ne croyait en aucune religion, non, il ne croyait en aucun Dieu, mais il croyait en cet ange submergé de merveilles qui voltigeait au-dessus de sa tête. Il avait foi que dans son coeur à elle, il pouvait retrouver sa propre résurrection face à toutes les souffrances l'ayant autrefois marqué. "Arrêtes-moi, je veux descendre. Je veux descendre." Pleurnichait-elle, le corps marqué par de violents soubresauts, la voix saccadée par des sanglots et les pieds virevoltants dans l'air tiède. Terrifié il obtempéra aussitôt, prêt à tout pour cette âme cristalline. La petite fille s'empressa de fondre en larmes dans les bras du garçon obnubilé d'inquiétude, tout bas, elle chuchota "Aucun paradis ne m'intéresse, si ce n'est pas lui que je retrouve auprès de toi."

 

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